mise à jour
7 novembre 2007




I Introduction

II Définition du fait divers


III Rapports entre ‘‘événement’’ et ‘‘fait divers’’


IV les pratiques d’hier et d’aujourd'hui de la chronique du corpus


V De l’étalage au camouflage : les habitats du fait divers


VI Rhétorique et mise en page


VII Confrontations des mises en page


VII Les signes du sensationnalisme


VIII Les signes idéologiques


IX Le fait divers en épisodes


X Le mimétisme de l’information


XI Le fait divers en événement


XII L’amplification de l’événement


XIII Conclusion


XIV Bibliographie


XV Annexes


Le fait divers dans la presse quotidienne française - Jérôme Constant

CHAPITRE 2 - LA LEGITIMATION DU FAIT DIVERS

A/ le microcosme du fait divers.

1. Rhétorique et mise en page.

b) Illustrations : photographies et dessins.

Le traitement des illustrations - photographies et dessins - dans les différents quotidiens est un autre procédé majeur dans la mise en valeur des informations. Il s’applique à toute l’information sans distinction de genre. Le fait divers n’échappe pas à cette pratique dont on peut dire même qu’il s’y prête naturellement. En effet, depuis l’avènement de la presse de masse au milieu du XIXème siècle, l’illustration accompagne le fait divers et en particulier le dessin. Les techniques photographiques n’étant pas encore au point, le dessin était le seul moyen de montrer en image les faits tragiques relatés dans le texte. Aujourd’hui, il est encore utilisé de deux manières différentes. La première ne concerne pas directement le fait divers puisqu’il s’agit de caricatures politiques ou de dessins illustrant le fait du jour : Plantu dans Le Monde et Jacques Faizant illustrent tous les jours la manchette par un dessin accompagné d’un petit texte souvent satirique. Puis il y a le dessin ou la photographie qui accompagnent le récit des faits divers. Le dessin a un avantage certain sur la photographie. Il permet de montrer les faits tels qu’ils se sont produits au moment même, sans décalage avec le moment du récit. Il permet également une amplification du sensationnel que la photographie ne rend pas à moins que la chance fasse qu’un chasseur d’image soit présent au moment des faits. Ce serait alors le scoop rare et très convoité. On sait a priori que les quotidiens ‘‘populaires’’ utilisent beaucoup les illustrations et on peut penser que les quotidiens ‘‘intellectuels’’ utilisent peu ou pas du tout ce moyen d’amplification. Et on peut également supposer que ces derniers en font une utilisation discrète. Quelques exemples extraits de l’attaque de l’Airbus et du meurtre de Nicolas à Marseille vont montrer que l’utilisation des illustrations dans ces deux groupes de quotidiens ne diffère pas tant que cela.

Le Figaro, l’Humanité et Le Monde ne publient aucunes photographies ayant un rapport direct avec l’attaque de l’Airbus. Libération, Le Parisien et France-Soir publient tous trois la même photo avec un cadrage plus ou moins large (voir illustrations n°14, 15bis, 31). Il s’agit de la photographie d’un avion dont on n'est pas sûr que ce soit celui qui à été attaqué. Le Parisien n’indique pas d’où elle provient, il ne cite pas sa source. Libération et France-Soir citent leurs sources mais elles sont étrangement différentes; pour le premier quotidien, elle aurait été prise par Michel Couppau, ‘‘indépendant de Perpignan’’, et pour le second elle proviendrait de l’A.F.P. Il semble certain que c’est bien une photographie de l’aéroport de Perpignan...L’intérêt de cette illustration est très limité car que peut-elle nous apprendre de plus sur l’attaque et la méthode utilisée par les hors-la-loi? Et même s’il s’agit bien de l’avion attaqué, alors le lecteur est content de constater qu’un Airbus est un gros avion civil. Et qu’il peut se faire attaquer comme n’importe quel fourgon blindé. Et que ce n’est pas banal.

Le Parisien publie à côté de cette photo un croquis qui est censé expliquer comment s’est déroulée l’attaque de l’Airbus (voir illustration n°31). Mais l’Humanité et Le Figaro publient également un croquis du même type (voir illustrations n°17bis et n°18). Si son intérêt est didactique, il permet en même temps de mettre en scène l’attaque, de la recréer. Se déroule alors sous nos yeux ‘‘le film du braquage’’. Ici, le dessin permet ce que la photographie n’a pas pu faire : il montre une action en cours comme si nous y assistions. Pour camoufler cette technique d’amplification de l’événement, l’Humanité et Le Figaro prennent le faux prétexte de l’explication puisqu’ils répètent dans leurs croquis celle qu’ils ont donnée par écrit. De plus, leurs croquis ne sont pas très explicites ni convaincants. Alors, autant en faire trop comme il se doit dans la tradition du fait divers, comme dans France-Soir qui met l’accent sur le dessin exclusivement illustratif et qui réserve au texte les explications (voir illustration n°22). Il fait ce que fait Le Monde, un quotidien avare d’illustrations. Si ce dernier n’en publie aucune dans l’affaire de l’Airbus, il n’en va pas de même dans la tragédie de Marseille où le très jeune Nicolas s’est fait assassiner. Et pour être convaincu que, sur le thème de l’illustration, les différences de traitement du fait divers entre les quotidiens ‘‘sérieux’’ et ‘‘populaires’’ sont faibles, prenons l’exemple du Figaro et du Parisien.

On récapitule dans le tableau suivant n°7 les illustrations contenues dans les deux quotidiens cités qui ont traité le fait divers de Marseille du 10 au 16 septembre 1996 (voir en particulier les illustrations n°37, 39, 40, 42, 43, 44, 46, 47 pour Le Parisien, et n°49, 52, 53, 54, 56, et 57).





Les deux quotidiens consacrent six numéros à ce fait divers, comme d’ailleurs les quatre autres titres. Là encore il y a un phénomène de copiage des quotidiens entre eux. Ce mimétisme certain est peut-être dû à la hiérarchisation déjà opérée par l’A.F.P. qui sélectionne à la source les informations (voir la citation d’Henry Pigeat donnée page 53) et qui fournit les six quotidiens du corpus. Si la place accordée dans ces deux publications est la même, celle de l’illustration est également significative d’un traitement ‘‘populaire’’ dans Le Figaro du fait divers. La photographie de Nicolas en médaillon apparaît dans les deux quotidiens. Elle revient à trois reprises dans Le Parisien (voir illustrations n°39, 40 et 43). Cette récurrence et le format gros plan du médaillon lui confèrent le statut d’icône renforcé par la qualité esthétique du visage de la victime. Le Figaro n’est pas en reste dans l’amplification de l’émotion par l’image. Les photographies données dans le numéro du 11 septembre à la page 9 (voir illustration n°49 page et aussi n°60) sont particulièrement significative. En médaillon, on voit le visage de Nicolas. Cette image assez banale est insérée dans une seconde photographie qui nous montre un corps enrobé d’un linceul blanc qu’on nous présente comme étant celui de Nicolas. Le corps est allongé sur la chaussée et entouré par des policiers. L’une donnée sans l’autre, ces deux images seraient moins sensationnelles, voire anodines en ce qui concerne le médaillon. Mais rassembler par la mise en page deux concepts que la nature oppose, c’est-à-dire la jeunesse et la mort, rapproche cette illustration d’une figure de style qu’on trouve dans le discours : l’antithèse. Et par celle-ci on souligne l’absurdité et l’atrocité du crime gratuit, on assouvit le voyeurisme inhérent au lecteur de faits divers, et donc on confère à l’image une valeur discursive. Cette illustration est sensationnelle et originale aussi bien par sa mise en page délibérément ‘‘populaire’’ que par sa qualité d’image rhétorique. Ce caractère est aussi perceptible par la mise en page du texte.

Dans cette page 9 du 11 septembre, le maquettiste présente deux articles du même auteur, José d’Arrigo, sur une demie page. L’article le plus petit est encadré. Il s’agit du témoignage d’un avocat, témoin du crime. Le titre de cet article reprend ce qui est donné comme étant les dernières paroles de la victime : ‘‘Aidez-moi, monsieur’’. Le même jour, France-Soir titre sa page 5 comme ceci : ‘‘Aidez-moi, je vous en supplie’’(voir illustration n°60). Lequel de ces deux quotidiens reproduit les paroles exactes de Nicolas puisque leur source est le même témoin du meurtre? Mais le plus surprenant, pour le moment, est de constater la ressemblance de ces deux titres dans la mise en page des illustrations qu’on trouve, le même jour, dans un quotidien dit ‘‘populaire’’ et un autre qualifiable ‘‘d’intellectuel’’. On voit là encore un signe de rapprochement des deux types de presse sur le mode du fait divers et de la mise en page sensationnelle des illustrations. Enfin, il y a Le Monde dont on sait qu’il ne met jamais de photographies dans ses pages. Cependant, à bien lire les textes, on s’aperçoit de phénomènes illustratifs cachés.

La sobriété de ce quotidien à l’égard des illustrations est connue. Pas de photographies mais quelques dessins égaillent une mise en page réputée austère. Sur le thème du fait divers, le journal ne propose jamais d’illustrations. Le cas du meurtre de Nicolas n’échappe pas à la règle (voir illustrations n°66 à 78). Mais parfois Le Monde utilise un moyen détourné qui permet quand même à l’illustration de s’exprimer : il s’agit bien sûr de l’écriture et en particulier de la description. Des deux phrases, le lecteur se représente une image mentale assez nette : ‘‘Sur les lieux du meurtre, à l’angle de la rue Consolat et de la rue des Abeilles, l’émotion restait vive. Toute la journée de jeudi, peluches, bouquets de fleurs et messages de condoléances ont continué à s’accumuler’’. Maintenant comparons cette évocation du lieu du meurtre avec la photo publiée dans Le Parisien du 13 septembre (voir illustration n°44), qui est par ailleurs la même que celle publiée ce même jour dans Le Figaro (voir illustration n°53). A la lecture du texte on a imaginé au minimum un entassement, une montagne de fleurs. Deux énoncés supposent cet entassement : ‘‘toute la journée’’, expression à valeur itérative, et ‘‘accumuler’’, conséquence de cette valeur. Or, le thème de la photographie est cet entassement de fleurs qui est au premier plan. Dans les deux cas, il s’agit pour les rédactions de montrer l’intensité de l’émotion provoquée dans la population par cet assassinat : ‘‘l’émotion restait vive’’ est traduit dans l’image par le second plan de la photographie qui montrent des inconnus se recueillant accoudés aux barrières. Un deuxième exemple extrait d’un article du monde daté du 17 septembre (voir illustration n°78) est encore significatif d’un traitement de l’image par l’écriture. L’article sur les obsèques de Nicolas débute ainsi : ‘‘Ils ne bougent pas, ne parlent pas, respirent à peine. Amassés les uns aux autres, collés derrière les barrières, ils fixent du regard(...). Le pronom personnel pluriel n’est pas, à cet endroit de l’article, déterminé. On ne sait pas qui ‘‘ils’’ représentent. Grâce au verbe ‘‘parler’’ on se doute que ce sont des êtres humains et non des bovins ‘‘derrière des barrières’’ de foire... Confirmation de cette réalité un peu plus loin dans le texte : des ‘‘Marseillais’’ oui, mais ‘‘des femmes, des enfants, des hommes pleurent en silence’’. Le texte du Monde est plus emphatique que la photographie de la foule publiée le 16 septembre dans Le Figaro (voir illustration n°57) dont le texte est d’ailleurs plus sobre dans la description de la foule. Finalement, Le Monde fait preuve d’un sensationnalisme textuel plus marquant que son équivalent photographique. La photographie pose un cas de conscience au Monde car elle reste malgré tout subjective. Et cela ne sied pas dans une rédaction qui a fait le difficile pari de l’objectivité. Alors autant passer par la forme discrète de la description et non moins évocatrice de sensationnalisme. Mais ce quotidien doit rester fidèle à son caractère intellectuel qui passe par l’écriture. Cependant, traiter un fait divers de manière purement objective obligerait la rédaction du journal à le publier sous forme de brève, ce qu’elle fait souvent dans ses rubriques ‘‘Kiosque ‘’et ‘‘Dépêches’’. Et peut-être que le fait divers n’est pas qu’une simple petite histoire qui se prêterait alors à des formes de mises en scène, ou de mises en page, politique, ou rhétorique, plus élaborées.
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